J’ai lu récemment un texte dont le titre est « J’ai écourté mon congé parental ». Avec un titre pareil, ça ne pouvait pas faire autrement que d’attirer mon attention.
Je savais un peu à quoi m’attendre, en cette ère de fières « mamans indignes » où, modernité oblige, il faut « lâcher prise » et « choisir ses combats », et où tout est mis en place pour déculpabiliser le plus possible les parents sur ce que deviendront leurs enfants (grosso modo, le message est que pratiquement rien n’est de leur faute).
Bon, d’accord, on s’entend : faire passer son congé de maternité de douze à onze mois, ce n’est pas si grave. Le problème, toutefois, c’est que de pouvoir compter sur la présence et l’attention soutenue d’un parent pendant seulement douze mois, c’est déjà nettement, nettement trop peu pour les tout-petits. Et l’autre problème, c’est qu’une jeune maman ressente un élan si fort à écourter d’un mois son congé : ç’en dit long sur l’état d’esprit dans lequel elle se trouve, et ça m’indique assez clairement les ravages du message dévalorisant sur l’importance du rôle du parent, message que notre société, principalement par l’entremise des mouvements féministes, n’a cessé d’envoyer aux jeunes femmes ces dernières décennies.
Je savais donc un peu à quoi m’attendre en lisant ce texte, et j’ai été servie :
Depuis la naissance de mon bébé, tout le monde me dit à quel point j’ai l’air bien : « Tu as l’air tellement d’une maman épanouie! » ou encore « Comme tu es chanceuse de pouvoir passer la prochaine année avec ton bébé! Comment leur dire que je me sentais sous-stimulée? Que malgré la multitude d’occasions d’échanger avec d’autres mamans dans les cafés, de m’entraîner avec mon bébé ou de prendre de belles grandes marches avec lui en après-midi, j’avais besoin de plus pour me sentir accomplie?
Ah! Nous y voilà. Sous-stimulée. Besoin de s’accomplir, la nouvelle maman.
Car bien sûr, élever un enfant, c’est insuffisant…
Prendre un nouveau-né, totalement vulnérable, avec un cerveau pratiquement vierge, et, dans notre monde toujours plus complexe, l’amener tranquillement à devenir un adulte équilibré, c’est insuffisant comme défi? Devant l’évidence que de plus en plus d’enfants, d’adolescents, et de jeunes adultes sont aux prises avec des troubles de comportement, de développement, d’apprentissage, devant la prolifération des dys-ceci et dys-cela, et devant les problèmes croissants d’anxiété, de consommation, de dépression et tutti quanti, élever un futur adulte équilibré, sain, avec une propension au bonheur et qui saura faire œuvre utile de sa vie, ce n’est pas assez stimulant, assez riche, comme expérience, comme objectif, comme défi?
Je suis convaincue du contraire. C’est LE plus grand défi pour un parent. C’est un travail immense, et de longue haleine, sur une route jonchée de difficultés à surmonter, d’épreuves à franchir. Alors qu’est-ce qui fait qu’un nombre aussi inquiétant de jeunes mères ne voient pas cela et se convainquent qu’elles ont absolument besoin du marché du travail pour y trouver leur compte? Quel message a-t-on envoyé aux jeunes femmes pour qu’elles en arrivent à conclure qu’élever un enfant, c’est trop peu pour exploiter et mettre en valeur leur potentiel?
… j’avais un besoin fondamental de retourner au bureau pour recommencer à utiliser mon cerveau et ma spécialité. Je rêvais de résoudre des situations complexes, de me sentir challengée, d’avoir un petit stress ne sachant pas si j’allais respecter l’échéancier.
Utiliser son cerveau? Résoudre des situations complexes? Se sentir challengée? Avoir un petit stress? Voilà qui résume assez bien mes années à élever mes fils et m’occuper de notre chez-nous!
Mes enfants ont maintenant 19 et 13 ans, et depuis qu’ils sont dans ma vie, mon cerveau a été constamment mis à contribution. Pas seulement dans leur éducation, bien que ça soit cela qui m’ait le plus occupé l’esprit, mais aussi dans tout ce qu’implique la gestion du quotidien, et dans tout le temps disponible que j’ai eu pour enrichir ma culture personnelle, me perfectionner dans toutes sortes de domaines, lire, m’informer, me questionner, trouver des façons d’améliorer la qualité de vie de ma famille et même, diminuer notre empreinte écologique.
Un des premiers grands défis que j’ai eu à relever, durant ma première année de maternité a justement été de comprendre quelle était donc l’origine de ce sentiment désagréable qui me donnait par moments une furieuse envie de tout plaquer pour aller passer 35 heures au bureau. Car oui, ça m’est arrivé. Réfléchir à tout cela a occupé une bonne partie de mon intellect : réfléchir au message insistant de ma société qui me disait que c’était correct, que ce n’était pas grave, qu’ils sont si bien à la garderie, qu’un bébé a surtout besoin d’une maman heureuse, supporter les injonctions de mon ego vorace qui me hurlait qu’il lui fallait bien plus pour être satisfait (reconnaissance, bons mots de mes collègues et patron, promotions, valorisation, admiration, chèque de paie et plaisirs de la consommation et du magasinage), et tout cela alors que ma conscience frappait très fort à ma porte pour me faire comprendre que mon bébé avait besoin de mieux. Ce premier grand défi, je l’ai relevé, et je ne l’ai jamais regretté. Pourtant, aujourd’hui, ce qu’on dit aux mères, c’est plutôt de ne pas se battre contre cet élan qui les pousse vers la porte. On leur dit de partir, on leur dit que tout va bien. Tout va-t-il vraiment si bien?
Oh, je vous rassure : je ne suis pas naïve au point de croire que toutes les mamans au foyer sont d’excellentes mamans à l’écoute de leurs enfants, qui passent beaucoup de temps à s’informer et lire sur l’éducation, le jardinage, la société… ou qui sont activement impliquées dans leur communauté, et le reste. Je sais, ça existe, des mamans à la maison qui ne s’informent pas, ne bougent pas beaucoup, et suivent toutes les émissions de « madame » qui passent à la télévision pendant que le p’tit joue avec une Bobby Pin dans la prise électrique. Oui, ça existe. Mais ce que je veux démontrer ici est que le potentiel d’accomplissement, de défis à relever, de stimulation de l’intellect, est immense tant à travers l’éducation de nos enfants que dans la gestion de notre foyer. Eh oui. Dur à croire, semble-t-il.
Ce qui incite tant de femmes, jeunes mères, à retourner si tôt vers le marché du travail (en dehors des impératifs financiers qui eux, sont bien réels pour plusieurs), ce n’est sûrement pas le manque de stimulation ou de défis, ni un déficit de possibilités d’accomplissement.
Liste non exhaustive de ce que m’ont permis d’accomplir mes années de parentage à temps plein:
- Lire des dizaines de livres sur l’éducation, le parentage, la psychologie;
- Gérer l’agenda familial : rendez-vous de médecin, de dentiste, pour les coupes de cheveux, magasinage pour la rentrée scolaire, pour les vêtements, etc.;
- Cuisiner : apprivoiser la cuisine fut tout un défi pour moi qui en ai toujours eu peur et ai eu beaucoup de difficulté à aimer ça, mais j’y ai travaillé, à force de lectures, d’émissions de cuisine, d’essais-erreurs, de temps passé à l’épicerie à lire les listes d’ingrédients, de temps à lire des articles sur la nutrition, etc.;
- Faire quelques rénovations et de la peinture;
- Laisser libre-cours à ma curiosité de toujours pour : la science, l’astronomie, la botanique, les oiseaux, l’évolution, la santé, la médecine, l’histoire, les arts, la politique, le tout à force de lectures de journaux, blogs, livres, et par l’écoute de documentaires, émissions spéciales, etc.;
- Être disponible pour discuter avec mes enfants de tout ce que j’ai appris, ou pour répondre à leurs grandes questions spontanées, ou intervenir sur-le-champ pour leur enseigner une leçon de vie (j’ai vécu ces petits moments de grâce un nombre incalculable de fois depuis qu’ils sont nés, et je sais maintenant que l’éducation passe en grande partie par ces moments qu’on ne peut pas prévoir, ni mettre à l’agenda);
- M’occuper du ménage et lavage (évidemment): j’ai fini par en arriver à tirer beaucoup de satisfaction dans ces tâches aujourd’hui regardées de haut;
- Avoir du temps pour méditer, respirer, regarder la nature;
- Aider mes enfants pour les devoirs et leçons : les soutenir dans leur parcours scolaire, dans le calme et la disponibilité (la plupart du temps! car je ne suis pas une Sainte non plus…), et ç’a été payant;
- En arriver à aimer le sport (enfin!): jogging, promener le chien, ski de fonds, longues randonnées en vélo (exemple positif pour les enfants);
- M’engager! Faire du bénévolat. Eh oui, le fameux bénévolat, qui nous permet de nous rendre utile et de côtoyer des adultes, dans un contexte gratifiant : j’ai donc fait du bénévolat à l’école (bibliothèque scolaire, comité de parents, sorties), puis pour Parrainage civique Lanaudière (organisme favorisant l’intégration sociale de personnes éprouvées par des incapacités physiques ou intellectuelles), auprès des loisirs municipaux, et pour un organisme de valorisation du patrimoine de mon patelin;
- Avoir du temps pour guérir mes blessures d’enfance, réfléchir à ma condition;
- Écrire.
Tout à fait d’accord Olivia! Bravo!
Merci!
Je crois que c’est à chacune de prendre sa décision. Le ton moralisateur…non merci. Même si c’est caché sous « la valorisation » du rôle de mère.
Quand il s’agit de la vie de famille, et de l’éducation des enfants, les émotions sont à fleur de peau. Je comprends. Mais il faut tout de même en parler, et je compte continuer à le faire. Merci de votre commentaire!
Bref, si on exclue de plus en plus le père des familles et que la mère s’exclue de plus en plus elle-même vers le marché du travail, il reste qui pour s’occuper de l’enfant ? Ah oui, le réseau de garderies et les CPE, of course ! Je travaille dans une école secondaire et il m’arrive de m’interroger sur les résultats d’un tel pattern…
Je m’interroge aussi, Olivier, depuis 20 ans maintenant. Je crois qu’on ne remet pas suffisamment en question ce modèle de vie familiale. En tout cas, Benoit et moi avons choisi notre mode de vie en fonction de nos valeurs et de nos convictions, et nous ne le regrettons pas.
On aura beau dire que « c’est à chacune de faire ses choix ». Il semble que le choix de l’une pose presque inévitablement un jugement sur le choix de l’autre. Pourquoi? Parce qu’au moment où l’on prend cette décision, on a toutes un bébé tout neuf qui possède bien peu de besoins et de caractéristiques qui lui sont uniques. Ils ont toutefois en commun d’être plus résilients et adaptatifs que les adultes. Pourquoi est-ce que 8 mois de congé sont suffisants pour mon bébé alors que le tiens a besoin 15 mois? Et pourquoi 3-4 mois sont-ils suffisants pour les bébés américains? Et pourquoi d’autres enfants auraient « besoin » d’une mère à la maison jusqu’à ce qu’ils quittent le nid. Si on justifie notre décision en fonction des besoins affectifs de notre bébé, on a pas tellement le choix de reconnaître que ces choix posent un jugement sur la manière dont les besoins des bébés des autres sont assouvis, car ces bébés ont tous, sauf exceptions, les mêmes besoins. Sans avoir fait une revue exhaustive de la littérature, il est bien difficile de prétendre que 12 mois, ou 2 ans ou 10 ans d’attention exclusive à un enfant sont suffisants ou insuffisants. À ma connaissance, des études démontrent que les enfants ayant fréquenté les CPE sont mieux préparés en arrivant à l’école en comparaison avec ceux qui ont fréquenté une garderie en milieu familial et à plus forte raison, en comparaison avec ceux qui sont restés à la maison. Mais « être mieux préparé pour l’école » ça donne quoi à qui? Et ça se fait au prix de quoi? Des études seraient bien sures requises pour savoir si les dys-ci dys-ça auxquelles vous faites référence pourraient être reliés, par exemple, à une sur-stimulation sociale en bas âge, ou à un allaitement trop court ou absent. Bref, nous ne savons pas grand chose sur la méthode qui répond le mieux aux besoins de nos touts-petits. On doit y aller selon nos feelings et de nos croyances. Il faut alors admettre que si je crois qu’il est mieux pour le mien que je reste à la maison, je crois très probablement aussi qu’il aurait été mieux pour le tien que tu restes à la maison. So much for « c’est à chacune de faire son choix ».
« C’est à chacune de faire son choix », c’est bon si l’on reconnait que la maman fait ses choix en fonction de ses besoins à elle. Tu choisis de rester à la maison parce que ça te plait. Se fesant, il est possible que ton enfant bénéficie d’un sentiment de sécurité total et constant. Il est aussi possible qu’il développe moins bien son autonomie et ses habilités sociales. Ou peut-être que les cafés-causeries-mamans-bébé auxquels tu l’emmèneras seront suffisantes pour combler ce type de besoin. Tu ne sais pas. Je choisis de retourner travailler parce que ça me plait. Se fesant, peut-être que mon enfant sera traumatisé par une anxiété de séparation fulgurante. Peut-être aussi qu’il se fera plein d’amis et developpera très tôt des aptitudes de leadership qui lui serviront toute sa vie. Je ne sais pas. Peut-être qu’au final, mon enfant aurait bénéficié davantage d’une mère à la maison et le tiens aurait bénéficié davantage d’une socialisation hâtive. Peut-être aussi que ça n’aura fait de différence pour aucun des deux. Nous ne savons pas et nous ne sauront probablement pas!
Ce que je sais, c’est que quand vous dites qu’un an de congé de maternité est « nettement insuffisant », vous portez un jugement sur le choix de nombreuses femmes. Jugement qui ne semble être fondé sur rien d’autre que vos impressions personnelles. Il faudrait alors reformuler la phrase en conséquence. Ou présenter des données qui soutiennent votre affirmation.
Bonjour Laura,
Merci pour votre message. Il y a probablement mille nuances à faire, mais je n’ai ni envie de m’avancer là-dedans, ni le sentiment qu’il le faille absolument. Je ne tiens pas non plus à m’embarrasser de l’analyse exhaustive de mille et une études scientifiques qui soutiennent ou contredisent mes impressions. Il y a des études qui disent une chose, et d’autres son contraire. Ce que j’exprime est le fruit de mes réflexions, rien de plus. Réflexions basées sur mes observations, mes expériences, mes lectures, mes sentiments, mes émotions et mon sens de la responsabilité. Et c’est pour exprimer cela que j’écris. Je ne suis ni scientifique, ni lourdement diplômée.
Quand je dis qu’un an est déjà nettement insuffisant, c’est clairement un jugement. Je ne m’en défends pas: je juge. D’ailleurs, tout le monde juge. Cette diabolisation du jugement, cet interdit de juger ne me touche pas, ne me rejoint pas. Je juge. J’ai toujours jugé, et ça m’a beaucoup servi. Évidemment, je me suis jugée moi-même plus durement que n’importe qui d’autre, et ça m’a beaucoup aidée, ça m’a beaucoup fait avancer.
Je crois que les petits êtres humains, les bébés de l’espèce humaine, ont à la base tous les mêmes besoins fondamentaux. Et je crois que nous y répondons plutôt mal, notamment en faisant des choix en fonction, principalement, de nos besoins à nous. Je ne dis d’ailleurs jamais « c’est à chacune de faire son choix », parce que pour moi, ça ne veut pas dire grand chose à part que choisir est légal. Quand j’ai choisi, au départ, de consacrer le plus gros de mes énergies à la maternité, je l’ai fait parce que j’étais convaincue que c’était ça, mon rôle. Je ne l’ai pas tant fait parce que c’était mon option favorite en fonction de mes désirs à moi. La fuite est une option parfois terriblement séduisante!