Quand le féminisme se tire dans le pied

Annie-Ève CollinJe refuse de cautionner quoi que ce soit qui contribue à établir la définition des mots femme et homme basée sur le genre. Cette espèce de règne du genre fait au moins autant de tort aux femmes que la banalisation des remarques grossières et du harcèlement sexuel.

Le mouvement #moiaussi a fait couler beaucoup d’encre. Bien des gens ont été stupéfaits de constater le nombre de femmes qui avaient déjà vécu des agressions sexuelles. Certains ont exprimé un soutien sans réserve, d’autres se sont montrés perplexes, et finalement, certains ont critiqué ce qu’ils considéraient comme des dérives liées à ce mouvement. J’ai écrit mon propre statut #moi aussi. J’ai vécu une agression sexuelle (une véritable agression, pas une simple drague insistante, ni un rapport dont je suis sortie insatisfaite ou pour lequel j’aurais regretté par la suite d’y avoir consenti, non, une véritable agression, avec contrainte physique et menaces). Je souhaite contribuer à une meilleure compréhension mutuelle entre les sexes. Un de mes prochains billets portera d’ailleurs sur le point de vue qu’une femme peut avoir face au danger des agressions sexuelles : il ne s’agit pas de croire que tous les hommes sont des agresseurs, mais les hommes doivent comprendre que ceux d’entre eux qui sont des agresseurs ne présentent aucun signe permettant de les distinguer des autres. Une femme a donc des bonnes raisons de faire preuve d’une méfiance généralisée. Mais ce sera pour un prochain billet. Pour ma première contribution à JusteSix, j’aimerais parler d’une pétition qui circule suite au mouvement #moiaussi et aux réactions qu’il a suscitées. Plusieurs femmes que je respecte l’ont signée. Je suis en grande partie d’accord avec ce qui y est écrit : on exprime le souhait d’établir une culture globale dans laquelle le respect entre les hommes et les femmes est de mise. Le texte prend aussi la peine de reconnaître qu’il y a une différence entre une remarque déplacée et une agression sexuelle.

Quoi qu’il en soit, je ne la signerai pas. Pour une raison que certains pourraient trouver futile, mais qui est d’une grande importance à mes yeux : le texte parle d’égalité entre les genres et non entre les sexes. En tant que féministe critique du genre, je considère qu’on doit être libre de ne pas se conformer à son genre. Il ne faut surtout pas emprisonner les gens dedans encore plus en prétendant que c’est le genre qui fait de quelqu’un une femme ou un homme, plutôt que le sexe. Je refuse de cautionner quoi que ce soit qui contribue à établir la définition des mots femme et homme basée sur le genre. Cette espèce de règne du genre fait au moins autant de tort aux femmes que la banalisation des remarques grossières et du harcèlement sexuel.

Précisions terminologiques

Le sexe est un concept biologique lié au potentiel de reproduction. Il y a deux types de gamètes dans le monde vivant : des gamètes de grande taille et nourriciers, que l’on appelle « femelles », et des gamètes de petite taille qui fécondent les gamètes femelles, on les appelle « mâles ». Pour qu’il y ait reproduction, il doit y avoir fusion d’un gamète femelle et d’un gamète mâle. Chez de nombreuses espèces animales, chaque organisme normalement constitué produit un seul des deux types de gamètes, ainsi on peut parler d’individus femelles et d’individus mâles ; on dit de ces espèces qu’elles sont sexuées. L’espèce humaine est sexuée : la femelle humaine est appelée la femme (la jeune femelle est appelée fille), et le mâle humain est appelé l’homme (le jeune mâle est appelé garçon).

Le genre, quant à lui, est une construction sociale. Dans chaque société humaine, certains comportements, certains traits de caractères, certaines fonctions sont attribuées aux hommes et d’autres aux femmes. Par exemple, la robe, la jupe et les chaussures à talons hauts sont associées aux femmes dans les cultures occidentales, bien qu’il n’y ait rien de biologique derrière cette convention ; ça relève donc du genre et non du sexe. Ce qui est socialement attribué aux femmes est qualifié de féminin, ce qui est socialement attribué aux hommes est qualifié de masculin.

Les rapports entre sexe et genre

 On ne peut pas nier que la condition des femmes s’est énormément améliorée, celles-ci jouissent aujourd’hui, dans de nombreux pays d’Occident, d’une grande liberté quant au choix de leur compagnon (ou compagne) de vie, quant à leurs partenaires sexuels, quant au métier qu’elles veulent exercer, etc. Les femmes (et les hommes) se sont émancipées dans une large mesure de normes de genre qui ont par le passé été très contraignantes.

Il y a place à la discussion sur la question de savoir dans quelle mesure le genre est un reflet du sexe et dans quelle mesure il est une construction sociale. L’être humain étant déterminé à la fois biologiquement et socialement, et ces deux déterminismes oeuvrant de façon combinée et non distincte, il est difficile, peut-être impossible, de départager avec exactitude ce qui relève de la nature de ce qui relève de la convention. Par exemple, travailler dans une garderie est un métier associé aux femmes : c’est un fait social qu’il y a beaucoup plus de femmes que d’hommes qui exercent ce métier, on s’attend socialement à ce que ce soient des femmes qui choisissent ce métier, on peut être surpris de rencontrer un homme qui fait ce choix. Il n’est toutefois pas impossible à un homme d’exercer ce métier, et il existe des hommes qui l’exercent (alors qu’il est impossible à un homme d’être menstrué ou d’être enceint). Il n’en demeure pas moins qu’il existe des éléments biologiques permettant d’expliquer au moins en partie pourquoi les femmes ont plus tendance que les hommes à consacrer beaucoup de leur temps au soin des enfants. Bref, alors qu’avoir un vagin est strictement lié au sexe, et que la robe comme vêtement féminin est strictement liée au genre, l’éducation en garderie comme métier féminin relève un peu des deux.

Le genre est malléable : chaque femme peut être plus ou moins féminine, chaque homme peut être plus ou moins masculin. Il est possible qu’une femme adopte des comportements socialement considérés comme masculins et un homme, des comportements socialement considérés comme féminins. Par le passé, les féministes ont lutté pour libérer les femmes (et aussi les hommes) de normes de genre trop strictes, qui pouvaient notamment aller jusqu’à interdire certaines activités aux femmes. Une femelle humaine qui n’est pas coquette, qui porte pantalons, chemises de bûcheron, chaussures à cap d’acier, sans maquillage ni effort spécial pour se coiffer, est quand même une femme. Une femelle humaine qui adore le hockey et la lutte est quand même une femme. Une femelle humaine qui choisit la mécanique comme métier est quand même une femme. Je ne m’éterniserai pas indéfiniment dans les exemples particuliers, je suppose que vous comprenez l’idée : on est femme par son sexe, quel que soit notre degré de conformité aux normes de genre. Prétendre qu’une femelle humaine qui déroge aux normes de genre socialement attribuées à son sexe, de ce fait, est moins une femme ou n’est pas une femme, est insultant pour la femme concernée et heurte de plein fouet des gains obtenus par les féministes. On ne peut pas nier que la condition des femmes s’est énormément améliorée, celles-ci jouissent aujourd’hui, dans de nombreux pays d’Occident, d’une grande liberté quant au choix de leur compagnon (ou compagne) de vie, quant à leurs partenaires sexuels, quant au métier qu’elles veulent exercer, etc. Les femmes (et les hommes) se sont émancipées dans une large mesure de normes de genre qui ont par le passé été très contraignantes.

À quoi les gens réfèrent généralement par les mots femme et homme

Certains diront que les mots femme et homme servent à référer au genre des personnes humaines, et que ce sont les mots femelle et mâle qui réfèrent au sexe. Cette prétention est fallacieuse, et je donnerai deux raisons principales.

D’abord, les mots femelle et mâle ne sont pas spécifiques à l’espèce humaine. Chez les chevaux, on appelle la femelle une jument (une pouliche pour la jeune femelle) et le mâle un étalon (un poulin pour le jeune mâle). Chez les moutons, la femelle est appelée la brebis (agnelle) et le mâle le bélier (agneau). Il paraît clair que les mots femme, fille, homme et garçon servent à spécifier du même coup que l’on parle de la femelle et du mâle de l’espèce humaine en particulier. Femelle tout court, ça pourrait aussi bien être une jument ou une brebis qu’une femme.

Certains objecteront qu’on ne voit pas les parties génitales, encore moins les hormones ou les gamètes de la majorité des gens que l’on côtoie ; on se fie donc au genre qu’ils affichent (leur nom, leur habillement, leur coiffure, etc.) pour les désigner au féminin ou au masculin. À cela, je répondrai que les traits sexuels secondaires ainsi que les vêtements et les accessoires que porte la personne, son nom, nous conduisent à une conclusion sur son sexe, c’est donc en fonction de ce que l’on présume être son sexe que l’on dira que c’est une femme ou un homme, et non en fonction de son genre.

Imaginez une situation où les traits sexuels secondaires de quelqu’un, tels que sa pilosité, l’absence de seins, son timbre de voix, etc. laisseraient clairement voir qu’il est de sexe mâle, mais qu’il porterait une robe fleurie et des souliers à talons hauts : que son habillement soit féminin ne convaincrait que peu de gens que l’individu en question est une femme. Il peut arriver qu’une drag queen, un travesti ou une personne transgenre arrive tellement bien à se donner l’apparence d’une femme que les gens ne réalisent pas qu’ils ont affaire à un mâle. On ne peut pas en conclure que les gens réfèrent au genre par les mots femme et homme, mais bien que, justement, on peut arriver à les tromper en ce qui concerne le sexe de quelqu’un. Dans un cas semblable, la majorité des gens, à la seconde où ils apprendraient que la personne est de sexe mâle, en concluraient que ce n’est pas une vraie femme, que c’est plutôt un homme.

Bref, les mots femme et homme sont utilisés pour distinguer les humains en fonction de leur sexe, et je suis favorable à ce que cet usage reste. Admettre socialement qu’on est femme ou homme par son genre représenterait un recul en ce qui concerne les gains obtenus par les féministes.

Conclusion

Si l’objectif d’établir une culture, un ethos social dans lequel les rapports entre les hommes et les femmes sont égalitaires, dans lequel les hommes auraient une meilleure compréhension de la sensibilité et des craintes des femmes (et dans lequel les femmes auraient une meilleure compréhension des difficultés qui peuvent rendre les hommes maladroits sans être mal intentionnés), il serait absurde de le faire tout en cautionnant une mentalité tout aussi nuisible aux femmes, celle qui prétend qu’on est femme ou homme par son genre.

2 commentaires sur “Quand le féminisme se tire dans le pied”

  1. Moi je trouve votre texte assez intéressant à lire pour nous faire une démonstration en ce qui concerne le sexe, le genre, la femelle, le mâle etc…. cependant j’ai beaucoup de difficulté à faire le lien pourquoi vous ne signerez pas la pétition au mouvement #moiaussi. Chacun (e) est libre de la signer selon ses propres valeurs mais votre texte ne m’aiderait sûrement pas à le signer ou pas si j’étais dans le doute!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *