(Photo: Couverture de l’album « Père Noël Mes Fesses! », Thierry Lenain, illustrations de Bruce Roberts, Les 400 coups,©2008. Coll. Carré blanc.)
Un autre argument très important que l’on entend souvent chez ceux qui défendent l’idée de faire croire au père Noël est que les enfants ont besoin de magie, et que la réalité bête et brutale de la vie les rattrapera tôt ou tard : alors autant faire durer la féerie le plus longtemps possible.
Je ne suis pas convaincue du tout que nos enfants aient besoin de magie dans leur vie autrement qu’en très modeste quantité. Mais à notre époque, le divertissement à caractère féerique, magique ou invraisemblable fait partie de la vie quasi quotidienne des enfants! Les films qu’ils voient et les livres qu’ils lisent (ceux qu’on leur lit) sont truffés de magie, de surnaturel, de rêve. Oui, il existe encore du divertissement dont l’action se déroule dans un cadre réaliste, mais ce type de divertissement est devenu tellement rare que choisir un film pour enfants ou offrir un roman-jeunesse ne contenant aucune forme de magie est devenu un tour de force.
Googlez « meilleurs films pour enfants », et analysez les résultats. Sur le site linternaute.com, en octobre 2019, voici les vingt-trois films pour enfants recommandés :
- Azur et Asmar
- Babe, le cochon devenu berger
- Charlie et la chocolaterie
- Dragons
- E.T.
- Ernest et Célestine
- Fantasia
- Harry Potter à l’école des sorciers
- Hook ou la Revanche du capitaine Crochet
- Jumanji
- L’Histoire sans fin
- Le Petit Dinosaure et la vallée des merveilles
- Le Roi et l’Oiseau
- Le Roi Lion
- Les Aristochats
- Les Contes de la nuit
- Goonies
- Maman, j’ai raté l’avion
- Mary Poppins
- Mon voisin Totoro
- Paddington
- Peter & Elliott le dragon
- Peter Pan
À part « Maman, j’ai raté l’avion », vous conviendrez que ça ne manque vraiment pas de magie!
Quant aux livres, c’est à peu près semblable. Sans entrer dans le détail, allez vous promener dans une librairie, dans la section des romans pour les jeunes. Cherchez une histoire « qui se peut », pour voir. Ça existe, bien sûr, mais il faut fouiller longtemps. Le fantastique et la magie sont partout, partout, partout. C’est symptomatique de notre époque désenchantée qui a désespérément besoin de s’évader dans des illusions. Je suis d’avis que la meilleure façon de réenchanter le monde est de le considérer tel qu’il est et d’enseigner à nos enfants à le voir ainsi et à l’aimer ainsi.
Maintenir nos enfants dans l’ignorance en cultivant le mensonge et le goût pour l’extraordinaire est sans doute la pire stratégie parentale pour tenter de leur faire aimer la vie, puisque ça ne fait que retarder d’autant le goût de la vie telle qu’elle est, sans enchantement. La réalité, quoi. Une réalité dure parfois, mais aussi magnifique, pleine de joies, de plaisirs et de beautés.
Il n’y a pas une autre époque dans l’histoire de l’humanité où les enfants aient été à ce point ensevelis sous le divertissement en général et le fantastique en particulier. C’est du jamais-vu. Les enfants sont gavés de magie durant toute leur enfance, et ce, sur une base quotidienne dans bien des cas. Ça commence le matin devant la télé, sur la tablette, sur le cellulaire de maman, ça se poursuit au CPE ou à l’école à travers les lectures et l’heure du conte, puis au retour de l’école devant la télé ou Netflix. Et c’est sans parler des jeux vidéos.
Du faux et de la magie du matin jusqu’au soir, 365 jours par année ou presque.
Puis, comme si ce n’était pas suffisant, on ajoute par-dessus tout ça le père Noël, le Lapin de Pâques, la Fée des dents, le Bonhomme Sept-Heures, etc.
Quelles sont les conséquences d’autant de faux dans l’esprit de nos enfants? Je ne suis pas médecin, je ne suis pas psychologue, je ne suis pas scientifique, mais je suis convaincue que ce fantastique-là est beaucoup trop présent et que c’est un cadeau empoisonné qu’on fait à nos enfants. En réalité, l’idée qu’on leur transmet à travers autant de faux, c’est que la vie, la vraie vie, est décevante, et ennuyante si on ne la pimente pas de fantastique quotidiennement. En gros, on leur dit que la vie, c’est plate.
Pour moi, il n’y a qu’un pas entre ce message inconscient qu’on leur envoie… et ce qu’on constate actuellement chez nos jeunes, c’est-à-dire des taux d’anxiété et de détresse psychologique alarmants, sans parler de la quantité de médicaments qu’ils ingèrent.
La vie ordinaire, on n’a pas réussi à la leur faire aimer. Ils cherchent donc la magie qu’on leur a fait miroiter. Ils cherchent à retrouver l’émerveillement de leur enfance, mais la vie n’y suffit pas. Déception, désillusions.
J’ai fait le pari de transmettre l’amour de la vie à mes enfants. De la vraie vie. Avec le moins possible de flafla, de matériel, et de magie. Et comme je n’avais aucun contrôle sur ce qu’ils pouvaient regarder chez leurs amis, à l’école ou à la garderie, ou sur le nombre d’heures qu’ils passaient à jouer à des jeux virtuels quand ils étaient ailleurs que chez nous, j’ai contrôlé de façon assez serrée ce que nous mettions à leur disposition à la maison en guise de divertissement. Notre maison a été une zone restreinte de faux, de magie, et de jeux vidéos. Mais elle a été très riche en plaisirs vrais.
Il faut trouver des façons de leur faire aimer la vie, telle qu’elle est, le plus possible. C’est un cadeau pour toute leur vie. C’était mon objectif. Le père Noël n’avait aucune place là-dedans, sauf au niveau du mythe, de la tradition et de la décoration. Sans plus, et sans insister.
Aimer la vraie vie, c’est : goûter, sentir, voir, toucher, écouter, c’est la faune, la flore, les paysages, le ciel, le sport et les loisirs, les liens familiaux, les amis, l’amour, l’accumulation de connaissances, le développement du sens de l’observation et du sens critique, le dépassement de soi, être à la hauteur de nos responsabilités, et j’en passe. Toutes des choses vraies, qui les accompagneront toute leur vie durant. Car elles ont l’avantage de ne pas se limiter à l’enfance, au contraire : ces choses vraies apportent encore plus de plaisirs avec l’âge.
On m’annonçait bien des malheurs pour mes enfants, car, disait-on, je les privais de ce que beaucoup considéraient comme essentiel à leur imaginaire et à leur joie de vivre. Pourtant : aucun malheur; aucune catastrophe. Ils aiment la vie, et elle leur rend bien.
On me dira : « Mais la magie, ça n’empêche pas d’aimer aussi les choses vraies! » Ç’a déjà été vrai ; mais aujourd’hui, avec le poids qu’occupe le fantastique et la magie dans la vie des jeunes, je crois que ça handicape leur aptitude à trouver satisfaction à travers le vrai et le simple.
Quand les souvenirs les plus joyeux et les plus forts d’une vie d’enfant sont vécus à travers le prisme du faux, il est difficile ensuite d’aimer la vie telle qu’elle est, simple. Ce sont souvent d’ailleurs ces désillusionnés de la vie qui deviennent les parents les plus obsédés par l’idée de la magie dans la vie de leurs propres enfants. Ceux qui grimpent sur leur toit pour aller imprimer des pas de père Noël dans la neige près de leur sortie de cheminée.
Programme Passe-Partout pour les tout-petits
Il y a déjà plusieurs années, j’ai inscrit mon fils au programme Passe-Partout. Ces ateliers sont encadrés par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur et s’adressent aux petits qui vont faire leur entrée à la maternelle à la rentrée suivante. Les ateliers se donnent une fois par mois, sur une demi-journée. L’objectif du programme Passe-Partout est de préparer et faciliter l’entrée à l’école : éveil à la lecture, éveil musical, apprivoiser les règles de vie, découvrir les lieux physiques de l’école, etc.
Même là… la magie s’est immiscée alors qu’elle n’a strictement rien à y faire. J’ai fini par retirer mon fils du programme Passe-Partout car on voulait lui faire croire à une histoire de souris qui visitait la bibliothèque et on insistait sur les pouvoirs magiques de cette souris. L’animatrice des ateliers avait même mis en place des stratégies pour rendre le mensonge plausible et amener les enfants à être émerveillés et totalement crédules devant le phénomène paranormal qui se produisait sous leurs yeux. Si je me souviens bien, il y avait des collations grignotées, et autres supercheries dont raffolent certains adultes.
Comme si ça ne suffisait pas, depuis quelques années, c’est la folie des lutins de Noël! Le cinéma, les jeux vidéos, les contes, le père Noël, la fée des dents et le bonhomme Sept-Heures, c’était déjà beaucoup trop, mais il fallait en rajouter encore une couche! Et à ce jeu des lutins, le milieu scolaire participe!
On veut faire aimer l’école aux enfants comme on veut leur faire aimer la vie, mais on semble incapable de faire passer le message sans le recours au faux et à la magie. Y croyons-nous vraiment à ce qu’on veut leur faire aimer, pour être limités au point que la réalité est insuffisante à convaincre?
Je désapprouve tout à fait que l’école contribue à entrer dans la tête des enfants ces mensonges féeriques. Ce n’est pas du tout sa mission et en fait, c’en est l’inverse.