Nous avons un nouveau système de justice au Québec. Un système parallèle dans lequel les personnalités publiques peuvent non seulement témoigner de leur détresse et de leur souffrance, mais également accuser leurs agresseurs en les nommant. Lancés ainsi dans l’arène publique de Facebook, ces vilains bourreaux sont jetés en pâture à une multitude de fauves Facebookiens assoiffés de justice et vengeances.
Au Québec, une autre femme publique est sortie dans les médias pour partager, avec l’ensemble de la population, sa démarche judiciaire contre son présumé agresseur. Léa Clermont-Dion a publié son histoire (à noter le temps de verbe au présent), comme si cette agression venait d’arriver.
Nul doute pour moi que sa souffrance est vive, réelle et encore bien présente, mais je ressens un profond malaise à voir tous ces témoignages ainsi que ces démarches livrées au tribunal populaire alors que ce sont des événements qui sont souvent survenus dans la plus grande intimité, sans témoin.
Chaque victime vit son drame en fonction de son bagage émotionnel. Certaines s’en sortent bien, d’autres par contre, sont profondément atteintes et peinent à se relever. De plus, le terme « agression sexuelle » englobe maintenant toute une panoplie de gestes allant du viol à l’attouchement, tout comme le bec forcé. Cette variété d’inconduites sexuelles ajoutent aux spéculations quant à la nature des faits reprochés.
Le texte de Mme Clermont-Dion me rend mal à l’aise puisqu’elle accuse et nomme son agresseur sans donner de détails sur ladite l’agression. Elle livre toute l’ampleur de son sentiment de trahison, de sa peine et de sa souffrance sans divulguer la nature du geste qui a conduit au préjudice.
Cela revient à : « Tu es un salaud, tu as brisé ma vie, mais je ne dis pas exactement comment. Le peuple sera derrière moi et je serai vengée ».
J’ai l’impression de revivre le cauchemar « Alice Paquet » dont, je le rappelle ici, les accusations publiques envers le député Gerry Sklavounos se sont révélées non fondées puisque le DPCP, après enquête, a déterminé qu’aucun crime n’avait été commis.
Aucun crime !
Il ne s’agit pas dans son cas de « manque de preuves », non, aucun crime n’a été commis. Alice Paquet a nui, non seulement à un homme public, à elle-même, mais aussi à toute la société en livrant son histoire personnelle avec Sklavounos au jugement populaire sans d’abord passer par la police et la voie judiciaire, qui est la seule, quant à moi, apte à « accuser » publiquement. On connaît la suite. Une série de mensonges et une grande confusion quant aux faits reprochés. Le tribunal populaire a par la suite déchanté.
Tout comme plusieurs autres femmes œuvrant dans le domaine public et des médias, Léa Clermont-Dion a porté plainte à la police. Sa démarche légale est parfaitement légitime puisqu’elle estime avoir été agressée et elle en souffre. De plus, toute une gamme de services d’aide existe pour l’accompagner. Elle le sait très bien puisque c’est une militante féministe bien au fait du problème des agressions sexuelles non dénoncées.
Nouveau psy?
Pourquoi donc, en plus de la démarche judiciaire, ce besoin de s’exhiber de la sorte? Pour s’attirer les témoignages d’appui et les réconforts? Pourquoi ce besoin de reconnaissance publique pour faire «valider» sa souffrance? Il existe encore une fois des tonnes de spécialistes qui peuvent venir en aide à cette pauvre Léa pour venir à bout du traumatisme qu’elle a vécu. Facebook, ce n’est pas un(e) thérapeute. Obtenir la reconnaissance de son statut de victime devient-il garant d’une guérison à long terme? Rien n’est moins sûr.
De plus, est-ce que le statut public de ces femmes leur donne un accès privilégié à un tribunal populaire auquel le commun des mortels n’aura jamais droit?
La diffusion sur les médias sociaux de son drame personnel implique qu’on juge publiquement un homme qui, jusqu’à preuve du contraire, n’a pas encore été arrêté ni accusé de rien. Le sera-t-il? Si un crime a été commis, cet homme doit être poursuivi et traduit en justice. Mais sommes-nous encore devant un événement du type « Alice Paquet » où dans plusieurs semaines, voire des mois, nous allons découvrir que le DPCP ne porte pas d’accusation? Si tel est le cas, un autre homme aura vu sa réputation détruite pour un événement que personne, mais alors personne sur Facebook n’est habilité à juger de la gravité.
Que madame Clermont-Dion décide un jour de partager son expérience en écrivant un livre, en décrivant sa démarche, les obstacles, sa souffrance, etc., je n’ai rien contre. Au contraire ! Outre le côté thérapeutique de la démarche, un témoignage peut aider à faire cheminer la société. Mais divulguer le nom de son présumé agresseur?
Ça non !
Là, je décroche. Là, on entre dans la zone du « règlement de compte » et du « se faire justice soi-même ». Ce genre de démarche ne sert personne et me rend sceptique quant au bien-fondé de la plainte alors qu’un geste très grave a peut-être été commis. On ne sait pas pour le moment et Léa Clermont-Dion nous force à prendre parti… pour elle.
Soyons clairs, je n’ai aucune sympathie pour les abuseurs de tout acabit. Mais c’est d’abord et avant tout à la police et au DPCP d’en juger, pas à la Facebookosphère !
Nous glissons lentement, mais surement dans un état de présomption de culpabilité, ce qui va à l’encontre de notre système de justice.
Ça se défend…
Jean-François, je serais curieux de savoir si le Devoir publierait un texte comme le vôtre. Vous défendez un point de vue important, que je partage entièrement. Le bar est ouvert. Ça ne s’arrêtera plus. Voilà établi le système de justice à deux vitesses réclamé depuis quelque temps par les groupes de défense de victimes d’abus sexuels.
Je doute que LeDevoir trouve le texte intéressant. Pas assez « victimaire », mais je peux me tromper. Ça vaudrait la peine d’essayer.