Faut-il s’effacer pour sauver la planète?
Je suis couché dans l’herbe tendre et je rêvasse reconnaissant
Devant moi la ville s’écroule
Devant moi à feu et à sang
Les gens sont frustrés à un point ma foi je crois extrêmement
IIs ont besoin de s’égorger au moins une p’tite fois d’temps en temps
Attends un peu avant d’me dire que tu voudrais des p’tits bébés
Les gens aiment bien quand ça fait mal
Et y’a pas de mal à s’faire du bien, à s’faire du bien
«Faire des enfants» (Jean Leloup, Le Dôme, 1996)
Depuis quelques temps, un peu partout en Occident, l’idée de ne pas faire d’enfant pour sauver la planète du désastre environnemental semble avoir trouvé écho chez la génération écolo en âge de procréer.
Le 9 octobre dernier dans le journal Le Monde, un collectif de vingt-deux scientifiques français faisait le lien entre la démographie et la crise environnementale: «C’est sans doute le défi le plus important que nous ayons collectivement à résoudre dans les vingt prochaines années. Freiner la croissance de la population est une nécessité absolue pour sauver l’habitabilité de notre planète d’un désastre annoncé.»
Aux États-Unis et en France, un nouveau mouvement est même né: Ginks («Green Inclination, No Kids»). La solution est radicale: ne pas procréer.
«Mon/ma partenaire et moi avons, dans notre égoïsme, condamné notre fille à vivre sur une planète apocalyptique, et je ne vois aucun moyen de la protéger de cet avenir», écrivait cet été Roy Scranton dans une chronique intitulée «Élever mon enfant dans un monde perdu» et publiée par le New York Times. «Je n’ai pas envie de créer un petit pollueur» rapportait aussi France Info le 2 décembre dernier .
Plus près de nous cet automne, dans sa chronique à l’émission d’Alain Gravel à la radio de Radio-Canada, la journaliste Josée Blanchette dévoilait que si c’était à refaire, elle n’aurait pas mis son unique enfant au monde:
Ton enfant va être peut-être le prochain Einstein, oui mais ton enfant va peut-être être le prochain Trump» disait-elle.
Ouf.
Comment dirais-je? Il y a le discours scientifique, qui nous fait faire certaines prises de conscience – ce qui est très bien – et le posturalisme écolo-nihiliste, qui sont deux choses différentes à mon avis.
Ça va faire mal
Oui, la planète va mal, on le sait. Selon les projections actuelles, nous serons près de 9,8 milliards sur Terre en 2050, et il faut agir maintenant pour réduire fortement nos émissions de gaz à effet de serre, autant individuellement que collectivement, et donner un coup de barre salutaire contre la pollution et la consommation effrénée qui nous étoufferont bientôt. Mais la solution globale passe-t-elle par l’arrêt de la reproduction dans les pays développés, particulièrement au Québec?
En 2016 au Québec, l’indice synthétique de fécondité (nombre d’enfants par femme) était de 1,59. En 1951, il était de 3,848. Entre en avoir quatre comme à l’époque, comparé à un ou deux aujourd’hui, il y a quand même une bonne marge, non? Surtout en sachant que pour maintenir sa population naturelle, un pays devrait avoir un taux de fécondité moyen de 2,1.
«Mais si la tendance mondiale est claire, d’importantes disparités demeurent. Dans 59 pays, les femmes continuent à avoir en moyenne plus de trois enfants au cours de leur vie. Quarante-et-un de ces états sont situés en Afrique subsaharienne. Au Niger, chaque femme donne naissance à plus de sept enfants en moyenne. Rien à voir avec les habitantes de Chypre, qui n’accouchent en moyenne qu’une seule fois dans leur vie. » nous rapporte l’Obs.
D’ailleurs, les chercheurs soulignent aussi souvent que le fait qu’une population soit vieillissante et ait moins d’enfants, comme la nôtre, pourrait avoir de gros impacts sociaux et économiques. Il est en effet nécessaire que les enfants puissent prendre soin des générations plus âgées, directement ou indirectement par le biais de taxes et d’impôts. Et ça ne se présente pas particulièrement bien de ce côté au Québec, comme dans plusieurs autres pays occidentaux. Suivant cette logique, on va devoir faire quoi: encourager aussi le suicide? Mourir moins vieux dans l’indignité?
C’est pas moi c’est l’autre
Le problème de dénatalité dans les pays développés n’étant pas spécifique au Québec, on tente partout de renouveler les populations par l’immigration économique, en plus de celle de nature humanitaire (avec tous les défis d’intégration que cela pose, mais c’est un autre sujet).
D’un point de vue environnemental, on le sait, ce n’est pas tant la quantité d’enfants qui est le problème en Amérique ou au Québec, mais le mode de vie de trop de gens qui consomment et gaspillent à outrance, multipliant les problèmes à l’échelle de toute la population.
Or, s’il est établi qu’après une génération, les immigrants n’ont pas plus d’enfants que les Québécois de souche, il est aussi clairement démontré par les démographes que l’immigration n’a qu’un effet modeste et temporaire sur le vieillissement – ou le rajeunissement – de la population. Ce qu’on sait toutefois, c’est que les personnes issues de l’immigration adoptent aussi dès la deuxième génération (ou avant) plus ou moins les mêmes habitudes de consommation (et de pollution) que la moyenne des citoyens «de souche».
Que feront donc ces immigrants une fois établis ici, si nous ne changeons pas collectivement nos habitudes de vie globales, en ralentissant la consommation? La même chose que nous. Donc, retour à la case départ. Et tant qu’à pousser le raisonnement, n’est-il pas vrai aussi que les immigrants au Québec sont même appelés à voyager beaucoup plus par la suite pour garder le contact avec leur famille dans leur pays d’origine? Rappelons que les voyages en avion sur de longues distances demeurent une des choses les plus polluantes. Les aspects humanitaires et économiques de l’immigration comportent leurs propres enjeux, mais globalement, ils ne régleront certainement pas le problème écologique, ni ici, ni ailleurs. C’est bête à dire comme ça, mais la stabilité, une certaine continuité (pas celle du gaspillage bien sûr) et la proximité avec son monde comportent aussi de larges avantages du point de vue écologique.
Mais comme les phénomènes climatiques sont déjà amorcés, désertifiant par exemple des territoires de plus en plus de larges en Afrique (qui est aussi le continent où les naissances explosent), il faut s’attendre à des flots migratoires de plus en plus importants dans les prochaines décennies.
«Chaque année, la population mondiale croît de 83 millions d’habitants, et ceux-ci vont être de plus en plus nombreux en Afrique, alors que l’Europe va régresser et l’Asie perdre du terrain. En 2017, ce dernier continent représente 60 % de la population mondiale (4,5 milliards), mais ce pourcentage tombera à 43 % à l’horizon 2100. À l’inverse, l’Afrique connaîtra une importante croissance, passant de 1,256 milliard d’habitants (17 % de la population mondiale) actuellement, à 4,468 milliards (40 %). « Et la tendance à l’urbanisation devrait se poursuivre plus particulièrement en Asie et en Afrique », précise M. Pison.» (Le Monde, 22 juin 2017).
Il y a donc un gros problème de disproportion d’un pays et d’un continent à l’autre. À l’échelle mondiale, l’enjeu de la natalité galopante semble plutôt se situer du côté africain et indien, particulièrement à cause de la pauvreté et du manque d’éducation. D’ailleurs, dans les classes supérieures de ces pays, le taux de natalité est beaucoup plus bas. Un accès amélioré à la contraception, davantage d’opportunités de travail et une plus grande reconnaissance des choix des femmes sont à l’origine de cette baisse, tout comme ailleurs dans le monde.
Qui suis-je, que fais-je, que puis-je?
Pour en revenir aux militants écolos qui ne veulent pas se reproduire, il me semble qu’il y a beaucoup de surintellectualisation pour une justifier des préférences, somme toute, personnelles.
Les angoisses existentielles sur le fait de procréer ou pas, ne datent pas d’hier. Avoir un enfant est bien sûr avant tout une décision personnelle, face à soi-même. Et oui, un peu égoïste aussi, tout comme la volonté de ne pas en avoir d’ailleurs. «Quand est-ce que tu vas nous faire un petit-fils ou une petite-fille?». Je peux comprendre que ceux qui n’en veulent pas, particulièrement les femmes, se cherchent de nouvelles justifications pour clouer le bec aux parents ou amis qui les talonnent avec ça, mais… Certaines, même fertiles, poussent le perfectionnisme jusqu’à adopter à l’international plutôt que d’enfanter, pour ne pas ajouter d’autres humains sur la planète. Eh bien je leur dis bravo, mais pour le reste…
Personnellement, je ne voulais pas non plus d’enfant dans la vingtaine. Oui oui, l’état du monde, la guerre, la destruction de l’habitat de la grenouille argentée, bla-bla-bla, mais c’était bien davantage personnel. Je n’étais pas prêt, pas sûr de mes moyens, et pas avec la bonne fille, celle dont j’aurais voulu transmettre les gènes à mes enfants (et avec qui passer ma vie). Ça m’est ensuite venu naturellement passé 35 ans, quand j’ai su intimement que j’avais tout ce qu’il fallait pour mener cette mission à bon port, coûte que coûte.
Des années plus tard, maintenant que je suis séparé de la mère de mes enfants et que j’en ai deux à élever à temps plein, vais-je en faire d’autres et repartir une nouvelle couvée pour séduire une femme qui, elle, en voudrait? Redémarrer toute la patente avec tout ce que ça implique tant d’un point de vue humain qu’en terme de ressources?
Non, je vais être une fois de plus égoïste et raisonnable, autant pour moi que pour les enfants que j’ai déjà, ainsi que pour la planète. Je vais consacrer mes énergies (et le moins possible d’énergies non renouvelables) à faire de mes enfants des humains équilibrés, conscientisés, responsables et heureux. Bien enracinés dans leur terreau de naissance et prêts à faire face à des défis de toutes sortes, dont celui environnemental.
Ne manquez pas demain notre deuxième article consacré au sujet écrit par ma collègue Olivia, qui vous amènera une autre vision originale sur la question.