Dans le gris de la nuit

Nous sommes en 2027, Québec Solidaire est au pouvoir depuis un an et son gouvernement va de l’avant avec une de ses promesses électorales de créer un ministère du Consentement pour éradiquer une fois pour toute le fléau national de la culture du viol.

Aucune relation sexuelle ne sera permise dans la belle province sans l’accord de l’État qui devra s’assurer que chaque femme aura donné un consentement libre et éclairé avant qu’un homme puisse s’adonner au plaisir de la chair avec elle. Cette protection était rendue nécessaire pour protéger une fois de plus les femmes contre les prédateurs, mais également contre elle-même en cas d’indécision de leur part.

Une « Apps » a été développée et est maintenant disponible sur iTune et Google Store. Elle envoie automatiquement une copie du consentement de la femme dans les serveurs informatiques du Gouvernement. En cas de regret ou de litige de la part de la victime, tout homme n’ayant pas obtenu de consentement électronique se voit automatiquement condamné à une peine allant de 3 à 15 ans de prison selon la gravité du geste ou en cas de récidive.

Finis les problèmes de « je ne savais pas son âge » ou « elle me disait fourre-moi bébé » ou encore « elle avait l’air de vouloir », « on avait bu », etc. Finies les versions contradictoires lors de procès-spectacles durant lesquels les victimes voyaient leur comportement ambigu et/ou irresponsable et contradictoire étalé au grand jour. En 2027, les hommes ont l’obligation d’avoir obtenu un consentement clair sans quoi ils risquent d’être inscrits au registre des délinquants dangereux. Une mesure jugée appropriée et nécessaire par Alice Paquet, la nouvelle présidente du Conseil du Statut de la femme flanquée des CALACS, qui ont vu leurs budgets quintuplés durant l’année. Madame Paquet se dit enfin soulagée qu’elle, ainsi que toutes les femmes seront enfin crues.

Dans l’éventualité où une femme décide d’elle-même de s’aventurer dans une relation sexuelle non-enregistrée, il incombe à l’homme d’exiger le consentement sans quoi des accusations criminelles pèseront contre lui. Les statistiques démontrant que ce sont en majorité les hommes qui sont en quête de sexe, la nouvelle loi tient à éviter de victimiser davantage les femmes, mais tient surtout à responsabiliser les hommes quant à leurs pulsions.

C’est ainsi que Jérôme, 29 ans, ex-sexe-symbole à Occupation Double 24 et premier cas d’espèce, a pris le chemin des cellules après s’être retrouvé en état d’ébriété, ligoté par trois jeunes femmes et qui a eu des relations sexuelles, omettant de faire signer les trois consentements.

Après la construction de trois prisons supplémentaires pouvant accueillir tous les prédateurs mâles nouvellement retirés de la circulation, la Première Ministre Massé s’est exclamée qu’enfin le Québec était safe space sexuel pour les femmes et se dit satisfaite des résultats obtenus. Lorsque questionnée sur l’exemption des LGBT de la loi, Madame la Première ministre s’est faite rassurante sur le fait que les femmes ne sont pas des agresseurs et que les hommes sont toujours consentants.

50 NUANCES DE GRIS

Malheureusement, nous sommes bien loin de cette idéal de justice souhaité par certains. 2017 nous rappelle à quel point les rapports humains, notamment la séduction et les relations sexuelles sont teintées de gris. Des teintes de gris si confondantes qu’il nous est difficile d’en voir les nuances. À chaque nuit, voire à chaque jour, des centaines de milliers de Québécoises et de Québécois font l’amour dans toutes sortes de nuances de gris. Si on exclut les cas flagrants de viol sous la contrainte, la grande majorité de ces actes d’amour et de plaisir se passe dans le désir et la jouissance. Mais l’humain étant ce qu’il est, parfois tout se complique. L’alcool et la drogue finissent par obscurcir encore plus la zone de consentement, nous plongeant ainsi alors dans un brouillard qui nous empêche de voir les signes usuels tels qu’un regard aguicheur, un touché sur la cuisse ou un petit baiser dans le cou. Tout ce plaisir de la séduction disparaît.

Lorsqu’on perd cette capacité à communiquer son désir et à décoder celui de l’autre, le « peut-être » et le « oui » se fondent dans des teintes difficilement dissociables, les risques de dérapage augmentent. Sur des milliers de relations sexuelles, il devient alors inévitable que certaines d’entre elles se terminent dans le champ, loin de nos espérances d’une belle route sinueuse de campagne. C’était trop « rough », trop rapide, pas la bonne personne, pas au bon endroit ou encore avec trop de personnes. On se sent lésé, floué par l’autre et parfois, par soi-même… et on regrette. Les lendemains sont amers et remettent en question nos valeurs. « C’était pas moi ça ».

Le #SansOuiC’estNon fait fi de tout ce langage du désir et de la séduction et de ces nuances de gris. Le sexe n’est-il pas à la base, le langage du corps ?

Dans l’armée américaine, certains vont jusqu’à suggérer des cartes de consentement pour éviter les agressions. Ce concept a suscité autant de moqueries que de commentaires positifs sur le Web. 

 

 

 

 

Qu’arrive-t-il lorsque que c’est #OuiPeut-êtreJeSuisPasSureJ’aimeraisD’uncoupQueMais ?

On demande alors aux hommes de porter le fardeau (potentiellement criminel) de décoder l’invitation ambiguë d’un non-oui-peut-être. En bout de ligne, sommes-nous en train de déresponsabiliser la moitié de la population d’un problème qui est commun aux deux sexes? Sommes-nous en train de soustraire les femmes au fait d’assumer leur désir?

Est-il nécessaire de judiciariser toutes les relations sexuelles qui tournent mal ?

Est-il nécessaire de judiciariser toutes les relations sexuelles qui tournent mal ?

Lorsque nous nageons dans le gris le plus dense, lorsqu’il est difficile de faire la distinction entre les comportement douteux d’un accusé et les actions nébuleuses d’une présumées victime, ne serait-il pas préférable de créer un espace pour une justice plus « réparatrice » plutôt qu’un verdict de culpabilité ou d’acquittement ?

N’y aurait-il pas davantage de besoins pour de la reconnaissance et des excuses plutôt que pour un étalage de faits intimes difficilement vérifiables et qui éclaboussent les deux parties ? Les trois présumées victimes de Ghomeshi, qui se sont finalement parjurées, n’ont rien gagné à l’issue de ce procès. Au contraire.

Lors de désaccord sexuel où bourreau et victime ne sont pas facilement identifiables, la solution est-elle un procès qui déchaîne l’opinion publique alors qu’on traite le ou les accusés de gros porc(s) et la présumée victime de salope?

Peu importe le verdict, ils seront tous perdants.

Dans une ère d’hyper-sexualisation où presque tout est permis et accepté, dans laquelle une jeunesse entière est livrée à elle-même (et Youporn) pour faire l’apprentissage de la sexualité, ne serait-il pas temps d’apprendre aux adolescents à communiquer leur désir plutôt que de se lancer dans des vagues de confrontations judiciaires afin d’obtenir une justice qui n’aura rien de réparatrice?