Nos errances égalitaristes

Quand on lit des mots comme « inégaux » et « inégalité » huit fois dans un même article, ainsi que les mots « écart » (trois fois) et « rien n’y fait », on s’attend à une catastrophe. Laquelle ?

Selon le journaliste Gérard Bérubé du Devoir, qui s’appuie sur une étude de Statistiques Canada pour l’année 2015, les femmes seraient encore à la traîne sur le marché du travail au Québec. Encore.

Cet article a été publié le lendemain de la Journée internationale des femmes. Coïncidence? Voyons précisément quelle est la catastrophe annoncée.

Dans le groupe des 25 à 54 ans, qui est le plus actif sur le marché du travail, 77,5% des femmes occupaient un emploi en 2015 comparativement à 85,3% des hommes. Ce modeste écart de 7,8%, jumelé au fait que les femmes se tournent davantage vers les emplois à temps partiel que les hommes (18,9% contre 5,5%), s’explique facilement : les femmes l’ont elles-mêmes choisi. Eh oui. « […] la raison généralement évoquée étant de s’occuper des enfants. »

Le handicap du libre choix

Un demi-siècle de luttes en faveur du libre choix pour en arriver à dire aux femmes que, si elles optent pour l’éducation de leurs enfants, leur choix devient un handicap pour toute la société. Car il plombe (légèrement) les chiffres sur l’ « égalité ».

Et le journaliste d’enchaîner :

« Inégaux aussi [les hommes et les femmes] quant à l’évolution de leur carrière, la durée des interruptions de travail étant deux fois plus élevée chez les femmes. [Selon l’étude de Statistiques Canada], cela reflète la propension plus élevée chez les femmes à prendre un congé de maternité ou parental… » 

Quoi ? Les femmes prennent plus de congés de maternité que les hommes???

Étrange régression, serions-nous tentés d’ironiser.

De toute évidence, la carrière des femmes est devenue un souci obsessionnel pour notre société. Un souci compréhensible, certes, en regard de l’histoire récente, mais qui tend à reléguer l’éducation des enfants au rang d’obstacle à l’égalité. Conséquence : on culpabilise les mères qui ont choisi de consacrer plus de temps à leurs enfants et moins à leur travail.

Inégalité : huit fois.

Cris primaires et hurlements médiatiques

À force de faire pression sur elles de tous côtés, la société finit par perdre de vue une évidence : le marché du travail ne pourra jamais être occupé à part égale par les hommes et les femmes… à moins bien sûr que l’on cesse de se reproduire. Grossesse, accouchement, allaitement, soins aux poupons et aux enfants en bas âge, tout ça justifie clairement le mince écart de 7,8% entre les hommes et les femmes. Et c’est la moindre des choses.

Pourquoi hurler à l’inégalité?

Quant à la propension des femmes à choisir davantage le travail à temps partiel que les hommes, pourquoi n’y verrions-nous pas plutôt un atout pour notre société? Une femme qui choisit de se consacrer à ses enfants, pendant un certain temps du moins, exprime sa nature maternelle et favorise l’équilibre affectif de ses enfants. Cet équilibre-là, on le sait, conditionnera largement leur développement cognitif. C’est donc un gain ; mais un gain qui ne se comptabilise pas dans l’immédiat et qui ne fait guère tourner la grande roue de l’économie qui nous obsède tant.

Traitresses à la Cause

Gérard Bérubé joint sa voix au concert des élites pour culpabiliser ces mères-là en pleurnichant pour un écart de 7,8% entre les hommes et les femmes sur le marché du travail. Ce qui revient à traiter de traîtresses les mères qui priorisent leurs enfants.

Au lieu de répandre l’idée que les inégalités persistent, réjouissons-nous plutôt de constater que les femmes occupent une très large part du marché du travail malgré les impératifs naturels liés à la maternité. Cette reconnaissance nous donnerait une perspective plus juste.

Après la Seconde Guerre mondiale, on a ouvert le marché du travail aux femmes. Nous avons ensuite promu avec insistance la notion d’égalité : égalité en droits, en opportunités et en traitement. Très bien. Tout cela était justifié. Mais cinquante ans plus tard, nous voilà obnubilés par une comptabilité obsessionnelle qui tend à nier certaines évidences naturelles, notamment le fait que les femmes sont davantage portées que les hommes vers l’éducation de leurs enfants, du moins en bas âge. On ergotera tant qu’on voudra sur la dualité nature/culture, il reste que cette comptabilité obsessionnelle n’est pas sans conséquences : en culpabilisant les mères qui travaillent moins, en les poussant à investir le marché du travail jusqu’à l’obtention de l’égalité 50-50 (faisant ainsi triompher les impératifs économiques au détriment de l’éducation des enfants), notre société finit par sacrifier en partie ses propres enfants, qui développent très tôt une hyper-fragilité facilement perceptible dans les écoles. Dysfonctions, médicamentation, recours aux psychothérapies, etc. : tout ça a explosé en 20 ans, malgré nos programmes d’aide ; malgré nos progrès technologiques ; malgré notre confort matériel ; malgré nos garderies bon marché ; et malgré notre discours « child friendly ».

Pourquoi ne fait-on presque jamais le lien entre l’hyper-fragilité des enfants d’aujourd’hui et cette culpabilisation des mères que l’on pousse à retourner le plus vite possible au travail après l’accouchement, et que l’on considérera comme vaguement inférieures si elles choisissent de travailler à temps partiel pour s’occuper de leurs enfants, au lieu de s’investir dans une carrière?

Le barrage habituel

On connaît l’objection : les pères devraient s’investir davantage dans l’éducation de leurs enfants. Peut-être. Reconnaissons tout de même qu’ils le font nettement plus qu’autrefois, et surtout, ne détournons pas le sujet : on parle ici d’enfants en bas âge, ceux qui, après avoir passé neuf mois dans le ventre de leur mère, après avoir été allaités par elle, ont besoin de cette présence maternelle pendant nettement plus de temps que ce que dicte l’agenda économique qui les pousse hors du foyer.

Si, d’un commun accord, un père souhaite se substituer à la mère auprès de ses enfants d’âge préscolaire, la société ne le lui défend pas. Mieux : elle l’encourage de plus en plus à le faire. (Sans oublier les pères qui n’ont tout simplement pas le choix.) Mais on parle ici de cas rares, exceptionnels. La nature prévoit les exceptions ; et la société le respecte. Mais nous aurions tort d’en faire une règle. Tort d’échaffauder nos théories ainsi que nos modèles en fonction de cas exceptionnels.

Et les CPE?

Même les réseaux de garderies les plus efficaces ne sauraient se substituer à une mère sur le plan affectif, sauf bien sûr dans le cas des mères qui sont incapables de s’occuper adéquatement de leurs enfants. Il faut protéger ces mères-là, ainsi que leurs enfants évidemment, mais un certain discours ambiant moussé par des élites (qui jouissent d’un fort rayonnement médiatique) a tendance à « utiliser » ces mères-là comme boucliers humains afin de justifier l’injustifiable : la multiplication inquiétante des cas de mères qui se coupent en totalité ou en partie des besoins réels de leurs propres enfants, très tôt dans la vie, sous prétexte d’émancipation professionnelle. Au nom d’une Cause.

L’égalité, toujours l’égalité.

Le meilleur des mondes?

Le jour où il y aura 0% d’écart entre les hommes et les femmes sur marché du travail, le jour où la soi-disant inégalité – relevée huit fois dans l’article du Devoir – aura disparu, nos enfants seront élevés par l’État. Point. Orwell et Huxley auront eu raison.

Et je soupçonne l’industrie pharmaceutique de s’en réjouir d’avance, en pensant aux montagnes de pilules dont nous devrons gaver nos enfants pour calmer leurs insécurités affectives, celles que l’on se plaît à nommer par toutes sortes de noms scientifiques… et qui, dans de nombreux cas, hélas, ne sont rien d’autre que le résultat de nos errances égalitaristes.