Père Noël 4) Ma propre expérience du mensonge de Noël

(Photo: Couverture de l’album « Père Noël Mes Fesses! », Thierry Lenain, illustrations de Bruce Roberts, Les 400 coups,©2008. Coll. Carré blanc.)

Je me souviens du moment précis où j’ai eu à parler à mon fils aîné du père Noël, la toute première fois. J’ai même une photo de ça. C’était une des premières fois où je lui mentais, je crois bien. Jusque là, je n’avais pas réfléchi à cette question du père Noël. En fait, j’étais persuadée que je ferais comme tout le monde.

Il avait tout juste deux ans, l’âge de comprendre ce que je disais. L’âge de me faire confiance. À un an, inutile d’enrober de mensonges le Noël d’un tout-petit : il est encore trop petit pour saisir. On ne cherche pas à le convaincre de quoi que ce soit, on fête et c’est tout. Mais à deux ans…

Nous étions chez Jean Coutu, où l’on offrait aux parents la possibilité de faire une belle photo de leur enfant avec le père Noël, gratuitement. Je me revois derrière le photographe. Je vois mon fils, assis sur le monsieur déguisé. Il souriait dans ma direction. Comme d’habitude, je débordais d’amour et de fierté en le regardant. Et pour l’amener à coopérer avec le photographe, je m’entends tout à coup lui dire dire : « Chéri, arrête de bouger. Il est gentil, le père Noël, tu sais, c’est lui qui va venir…. t’apporter… des cadeaux… ». Bref, je ne sais plus exactement ce que j’ai dit, mais je sais que les derniers mots, je les ai prononcés au ralenti, comme si ma conscience ne suivait plus mes lèvres, et que tout mon corps réagissait au mensonge que j’étais en train de faire à mon fils. Ça n’allait pas du tout.

Ça m’a suivie pendant des jours.

Qu’est-ce que j’étais en train de faire là? Dans quel but? Y avait-il vraiment un intérêt à ça? Une quelconque justification à mentir à mon enfant?

La réponse m’est venue suffisamment vite pour que j’arrête immédiatement ce mensonge. Mon corps refusait. Ma conscience refusait. Et le regard de mon fils, rempli de confiance, ce regard qui cherchait en moi naturellement les réponses à toutes ses questions, cette intelligence et cette conscience naissantes que je voulais honorer, il m’était interdit de les remplir de niaiseries, même bien intentionnées. C’était totalement contraire à ma responsabilité parentale et à tout ce que j’avais installé entre lui et moi depuis sa naissance : l’authenticité, la vérité, la confiance, la connaissance.

Mon travail était de l’aider à toujours mieux saisir le monde autour de lui, et de lui donner les moyens d’appréhender la réalité avec le plus de connaissances et de conscience possibles. Et là, juste pour Noël, j’aurais accepté de risquer cela? Pour quels bénéfices?

Ce Noël-là, fiston a reçu des cadeaux, et il a su qu’ils étaient de ma part, de la part de sa tante, de son oncle… Le père Noël n’existait déjà plus sauf comme décoration et comme personnage de fables. Il avait existé pendant 10 minutes.

Tu veux marcher, et moi, je te fais une jambette

J’ai décidé que je ne mentirais pas à mon fils. C’était tout. Mais dans les années qui ont suivi, j’ai beaucoup réfléchi à la question.

Lui raconter n’importe quoi sous prétexte de le faire rêver me faisait penser à un parent qui verrait son petit bébé tenter de faire ses premiers pas et qui lui ferait des jambettes pour l’empêcher de réussir et qu’il puisse profiter plus longtemps de sa vie de bébé à quatre pattes. « Laissons-les donc être des enfants! », comme beaucoup disent…

Alors même que le cerveau de mon fils avait besoin de moi pour l’aider à progresser, moi, je lui aurais raconté des faussetés pour le retarder! Et j’aurais dû trouver cela juste et bon, alors que je trouve cela impardonnable. J’aurais dû trouver ça émouvant! Et en faire des photos-souvenirs, en plus! Regardant la photo prise chez Jean-Coutu, j’imagine la voix de ma conscience me dire : « Voici une photo de mon fils naïf et crédule qui me croit alors que je suis en train d’abuser de sa confiance. C’est beau, non? »

Tout de même, je dois avouer qu’au départ, ça m’a déstabilisée de refuser à mon fils le mensonge du père Noël. Enceinte, j’avais imaginé les Noëls que je lui offrirais : ce serait magique, merveilleux, je serais une extraordinaire maman de Noël, et mon enfant aurait des étoiles dans les yeux et de la magie plein la tête! J’étais certaine que ce serait merveilleux. Merveilleux…

Réagir aussi vivement au moment même de commencer à installer cette magie m’a déstabilisée. Ma propre expérience d’enfant ayant cru dur comme fer au père Noël avait été pourtant si positive!

Positive?… À bien y réfléchir, pas si positive que ça, justement. Mais ça m’a pris du temps à le réaliser.

La joie justifie les moyens?

Je me souviens à quel point je devenais excitée à l’approche de Noël. La joie qui montait en moi durant cette période ressemblait à une exaltation mystique. Je comptais sur ce bonhomme. Et dans ma vie un peu triste, j’avais bien besoin de cette magie. Enfin, je le croyais…

Nous étions plutôt pauvres. La magie de Noël me donnait espoir en une forme d’équité : tout le reste de l’année, j’avais à souffrir de me comparer à mes camarades de classe ou à mes copains du quartier. Je voyais bien qu’ils avaient plus de jouets, plus de friandises, plus de loisirs, plus de tout que nous. Chaque année, je souffrais le décalage qu’il y avait entre les activités qu’ils faisaient en famille durant les vacances d’été ou de Noël, et celles, très rares, que nous avions les moyens de nous payer. Je voyais bien aussi que nos vêtements n’étaient jamais exactement à la mode. Je me sentais différente, j’étais gênée, et en plus, je me sentais terriblement coupable de ressentir de la jalousie en me comparant aux autres, car je voyais bien tous les efforts que ma mère faisait pour que nous ne souffrions pas trop de notre infortune.

Mais, heureusement, il y avait Noël, et surtout, le père Noël. Lui, il verrait bien que ce n’était pas équitable que les autres petites filles, qui n’étaient pas aussi sages que moi, ni aussi polies, ni aussi tranquilles et obéissantes que moi, aient plus de luxes dans leur vie, toute l’année durant! Lui, il rétablirait la justice, parce que Lui, omniscient comme Dieu, il avait le pouvoir de savoir, de voir, de connaître ma valeur. Il saurait voir au-delà des apparences.

J’attendais la justice du père Noël comme d’autres la justice de Dieu.

Mon exaltation, mon excitation étaient bien réelles. Et j’étais généralement contente de ce que je recevais à Noël sous le sapin. Je ne me plaignais pas! Je n’aurais pas voulu qu’il me trouve ingrate, le père Noël, et qu’il décide de ne pas passer l’année suivante si je n’étais pas reconnaissante, ou pire, jalouse… N’empêche que la justice du père Noël me blessait : pourquoi moi, si gentille, pourquoi moi qui avais déjà moins que les autres toute l’année, pourquoi, alors qu’il savait tout ça, il me donnait tout de même beaucoup moins de cadeaux qu’à l’insupportable petite voisine pourrie gâtée qui venait systématiquement se vanter chez moi des cadeaux qu’elle avait reçus et dont la pile atteignait le plafond du salon, me disait-elle? Comment lui, il pouvait être aussi injuste envers moi?

Quand le père Noël lui-même détermine que tu mérites moins de jouets que la désagréable petite voisine qui te fait si souvent de la peine, eh bien ça ne peut vouloir dire qu’une chose : tu mérites effectivement moins, Olivia. Sinon ça paraîtrait sous l’arbre le 25 décembre. Je devais donc me résigner à n’être pas plus intéressante pour le père Noël que je ne l’étais pour mon père ou pour mes camarades à l’école.

C’est ce que j’ai accepté, sans le verbaliser, et sans en être tout à fait consciente. J’ai accepté le jugement du père Noël, et l’idée que je valais moins, que j’étais moins intéressante, probablement moins jolie et moins intelligente que les autres. Le père Noël, qui savait tout, il savait ça. Et ça se reflétait dans ses choix : d’un côté, ceux qu’ils couvraient de cadeaux; de l’autre, ceux à qui il donnait tout juste ce qu’il fallait, sans plus.

Avec le recul, j’ai compris que j’aurais grandi moins complexée si j’avais su dès le départ que les cadeaux venaient des parents.

Toute la société participe : pourquoi vouloir être à part?

C’est probablement le seul élément qui m’a fait un peu hésiter à ne pas embarquer mes enfants dans ce traîneau. Mais pas très longtemps.

La pression est immense pour suivre tout le monde dans le délire du père Noël. Je n’y portais pas tant attention avant d’avoir des enfants, mais maintenant, ça me saute aux yeux. Même le bulletin de nouvelles s’en mêle. Et les journaux. Et Postes Canada aussi. Il a même sa propre ligne téléphonique, ce connard de père Noël! L’école participe, les CPE aussi. Et les municipalités, bien sûr, avec le dépouillement de l’arbre de Noël.

Et que dire de la parenté… Ça fait des frictions, inévitablement.

C’est compliqué, choisir de ne pas se soumettre à cette pression. Ça demande du doigté. Et il faut faire attention : nos enfants ne doivent pas rompre le charme auprès des autres enfants. Certains parents pourraient ne pas nous le pardonner.

Mais nous n’avons pas cédé à la pression. On a pris le risque. Le risque que nos enfants se sentent à part et qu’ils souffrent de ne pas pouvoir communier à la même croyance que leurs copains. Ça les a même mis dans des situations où ils devaient mentir eux-mêmes, notamment pour ne pas risquer de dévoiler la vérité à leurs amis… Mais voilà, nous n’avions pas le choix, et notre responsabilité première est envers nos enfants, pas envers ceux des autres.

4 commentaires sur “Père Noël 4) Ma propre expérience du mensonge de Noël”

  1. Malheureusement la vie est faite de mensonge . Ce n’est pas parce que tu travailles plus qu’un autre que tu auras le poste que tu convoites . Et ce n’est pas parce que tu vient d’une bonne famille que tu auras une intelligence supérieur. Il y a des milliers de facteurs qui entrent en ligne de compte.
    Alors svp cessez de vous mentir à vous mêmes en pensant que vos enfants seront à l’abris des mensonges et qu’ils s’en sortiront indemnes parce que vous coupez la magie dans leurs vies . Le mensonge est omniprésent partout, partout et partout . Et comment un bébé se fabrique et vient au monde ….vous y êtes?

    1. Madame, je n’ai jamais pensé protéger mes enfants des mensonges de la société en général, mais des MIENS en particulier. Et je suis très fière de ça, et de ma relation avec eux. Et la magie elle est dans la vie: pas besoin du mensonge pour aimer la vie et la trouver belle.

  2. Vos textes sur Noël sont très intéressants et portent à une réflexion sur nos propres valeurs par rapport à Noël, que l’on soit d’accord ou non avec votre message. Merci d’avoir partager votre façon de voir cette période de l’année!

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