Je suis une Super Victime

Olivia Pelka

« Une femme sur trois sera agressée sexuellement dans sa vie. »

On l’a tous entendue, cette statistique alarmiste. On nous l’a tellement répétée, en nous laissant entendre qu’en plus, puisque beaucoup de victimes ne signalent jamais leur agression, ce serait encore « bien pire » que ça!

Or, pour bien des gens, « agression sexuelle » veut dire « viol ». Le vrai viol. Le sordide, le brutal, celui qui terrifie les femmes, celui qui traumatise à vie. Mais qu’entend-on réellement, aujourd’hui, par « agression sexuelle »? Car jouer sur les mots et leur signification semble être devenu le mot d’ordre. Il faut semble-t-il laisser planer la confusion. Ainsi, on nous parle à gauche et à droite depuis quelques années du fléau des agressions sexuelles, et beaucoup d’entre nous comprennent qu’on nous parle de viol. Mais de quoi nous parle-t-on réellement?

Avant de m’intéresser à ces questions, quand j’entendais des statistiques comme celle-là, ou bien que je lisais des articles de journaux, ou que j’écoutais les nouvelles et qu’on me parlait des agressions sexuelles, je me disais que j’avais vraiment eu beaucoup, beaucoup de chance de n’avoir jamais eu à en subir une seule durant ma vie. Et surtout avec les risques que j’avais couru, durant mon adolescence et jusqu’à mes 30 ans environ! J’avais été plus souvent célibataire qu’en couple, j’étais beaucoup sortie dans les bars, j’avais beaucoup marché seule après le coucher du soleil, j’avais longtemps vécu seule en appartement à Montréal, et je m’étais souvent retrouvée dans des situations qui auraient pu…  Mais quelle chance, je n’avais jamais été agressée sexuellement alors que les agressions sexuelles sont si répandues, me disais-je.

Puis je me suis intéressée d’un peu plus près aux chiffres, et aux déclarations des militantes féministes et des porte-parole des groupes de pression. J’avais toujours eu l’impression qu’on vivait dans une société sécuritaire, alors que les nouvelles semblaient me dire le contraire : comment était-il possible que ma perception de la société ait été aussi éloignée de ce que les journalistes disaient?

C’était bien avant que je réalise que selon la définition d’une agression sexuelle qu’on accepte de plus en plus dans notre société, j’avais semble-t-il été agressée sexuellement, à mon insu, de très nombreuses fois. Et depuis, à mesure que la définition d’agression sexuelle devient de plus en plus absorbante et englobante, j’ajoute, de mois en mois il me semble, de nouvelles agressions sexuelles à mon expérience de vie. J’ai commencé à faire un décompte, à partir de mes souvenirs : j’en arrivais à une dizaine d’agressions « à mon insu », il y a 10 ans environ. Et maintenant, c’est certainement autour d’une quarantaine, voire plus.

Je me suis fait siffler sur la rue (dire le nombre de fois serait peut-être présomptueux…) sans mon consentement.

Je me suis fait faire des commentaires sur des parties de mon corps, à caractère clairement sexuel, par des hommes que je n’avais pas « autorisés » à le faire.

On a déjà « tenté » d’avoir un rapport sexuel avec moi (encore heureux, parce que pour avoir une relation sexuelle, encore faut-il la tenter, non? D’ailleurs, ne suis-je pas moi aussi agresseur sexuel puisque j’ai souvent moi-même « tenté » d’avoir un rapport sexuel?).

J’ai déjà subi quelques exhibitionnistes (ici, comptez environ cinq à huit de mes « agressions »).

Un homme s’est frotté sur moi dans le métro en me susurrant des trucs pornos à l’oreille (pas terrible comme expérience, faut l’avouer).

Un homme a déjà frôlé un de mes seins dans un ascenseur, au travail. La deuxième fois, j’ai compris que ce n’était pas accidentel…

Un homme m’a déjà plaquée contre un mur pour m’embrasser sans me faire signer au préalable de contrat de consentement. Je ne me suis pas débattue, j’ai même participé à l’embrassade, et j’ai eu des regrets, le lendemain, de l’avoir laissé faire. De nos jours, il me semble qu’il suffit pour une femme d’avoir des regrets le lendemain pour transformer un événement en agression…

Un voyeur est venu pendant quelques semaines  se coller le nez à la fenêtre de mon appartement. Il n’a pas « vu » grand-chose à ce que je sache, mais il y est venu assez régulièrement.

À l’adolescence, je ne compte plus le nombre de palpations de mon postérieur que j’ai subies par des jeunes garçons de mon école. Plus tard, c’est arrivé aussi dans les bars. Quand il y a plein de gens serrés les uns contre les autres, les mains baladeuses se font aller… Ça m’a fait sourire, ou tout au plus, lever les yeux au ciel, même quand j’ai dû donner une claque à un impoli ou lui tordre le doigt.

Un soir de beuverie, en sortant d’un bar, on marchait, un groupe d’amis et moi. On était pas mal sur le party, on riait, on marchait croche, on chantait. Un de mes amis m’a alors appuyée contre une voiture et m’a embrassée, totalement par surprise. J’ai dû le repousser assez vigoureusement en disant un « non! » très sonore.

Et il y a eu une autre fois, à 15 ans environ. Cette fois-là, on est passé proche, une copine et moi, de se faire vraiment agresser. Mais on s’en est tirées. À la sortie du Paladium de Berri, deux gars qu’on connaissait vaguement nous ont invitées dans leur voiture pour nous reconduire chez nous à Longueuil. Mais au lieu de se diriger vers le pont Jacques-Cartier, ils ont tourné et viré dans les rues de Montréal jusqu’à ce que l’heure du dernier métro soit passée. Nous nous sommes donc retrouvées piégées. Nous étions dépourvues, ne savions pas trop quoi faire. Nous n’avions pas le choix de suivre, puisque nous étions dans leur voiture. Ils nous ont emmenées à leur appartement. Nous avons enduré leurs tentatives de nous convaincre d’avoir des rapports sexuels et leurs taponnages. Ça sentait mauvais, alors nous avons pris nos jambes à notre cou et avons fui, seules, à 15 ans, dans les rues de Montréal, en pleine nuit. Nous l’avons échappée belle, cette fois-là car nous aurions pu être effectivement agressées sexuellement.

Et puis il y a les « agressions » que j’aurais supposément subies alors que j’étais en couple. Il faut lire l’article écrit récemment par Benoit Séguin (Quand la science dérape) pour comprendre. Si on en juge par les questions posées aux adolescentes dans le cadre de l’étude mentionnée dans ce texte, un chum (ou un conjoint, ou un mari) qui fait une tentative de relation sexuelle non désirée par sa partenaire commettrait une forme d’agression sexuelle! Car il semble que ce ne sont que les émotions de la femme qui déterminent s’il y a crime ou non, et non le geste lui-même et encore moins l’intention de l’homme derrière ce geste (qui s’en soucie?). Car il suffit que la femme ne désire pas cette tentative pour que ça soit considéré statistiquement comme une agression. Faut le faire, non? Une tentative (seulement une tentative!) d’avoir une relation sexuelle peut être considérée comme une agression si la femme ne souhaite pas ce rapport sexuel. Mais si elle le souhaite et qu’elle répond favorablement à la tentative, on vient d’évacuer la notion d’agression. C’est donc la « victime » et seulement elle, à travers sa façon de ressentir les choses, qui détermine s’il y a eu agression ou pas.

Ça fait beaucoup de pouvoir entre les mains des femmes, il me semble… C’est vraiment l’égalité qu’on veut? J’en doute.

Pas besoin d’aller bien bien loin pour trouver de nouvelles « agressions sexuelles » à ajouter aux articles de journaux et aux sondages alarmistes. Une simple caresse non désirée par notre partenaire du moment devient une agression sexuelle. C’est ben maudit pareil… Ton chum te flatte un sein pendant que tu fais la vaisselle, tu le repousses en disant « t’es ben fatiguant » : coup de baguette magique, tu viens d’être agressée « au sein de ton couple ».

Et la dernière agression que j’ai dû ajouter à mon palmarès personnel, pas plus tard qu’avant-hier, c’est en lisant un article stupéfiant sur le Huffington Post, intitulé Quand la culture du viol s’immisce dans la salle d’accouchement, que je l’ai découverte : il s’agit de mon premier accouchement. Mon accouchement aurait donc été, je viens de l’apprendre, une autre (encore une autre…) « agression sexuelle ». Mais ça n’en finira donc jamais? Moi qui m’étais vue comme une rare chanceuse d’avoir réussi à traverser plus de 40 ans de ma vie au Québec sans avoir vécu une seule agression sexuelle, et pourtant, on n’en finissait plus d’insister à me coller l’étiquette de victime!

Un obstétricien a vérifié la dilatation du col de mon utérus et n’a pas pris la peine de me prévenir qu’il allait le faire? C’est la culture du viol. Un étudiant en médecine est venu m’examiner ? Victime de violence sexuelle. On aura beau nous sortir mille histoires de mauvais traitements en milieu hospitalier, soudainement, parce que mon vagin est impliqué dans l’affaire, c’est une « agression sexuelle ». C’est la « culture du viol ».

Je viens de me rappeler d’une autre agression sexuelle que je devrais ajouter mon palmarès de Super Victime : c’est la fois où un homme est passé devant moi dans la file d’attente au guichet automatique. J’étais tellement fâchée. Quoi, ce n’est pas une agression sexuelle? Ah bon? Soit. Mais je compte sur mes amies des groupes de pression féministes pour trouver une façon d’inclure ça dans la liste des agressions sexuelles! Ça ne devrait pas tarder. Après tout, j’avais un vagin quand cet homme est passé devant moi…

14 commentaires sur “Je suis une Super Victime”

  1. C’est certainement le texte le plus complet, pertinente, intelligent, clair, net et précis que j’ai lu sur ce sujet… Bravo

  2. Merci Olivia.
    Cet article n’aurait certainement pas eu le même impact s’il avait été écrit par un homme.

  3. Et après tout ça, en ajoutant le nombre d’hommes qui se sont faussement fait accuser d’agressions sexuelles et ont vu leur vies détruites, faut-il vraiment vous étonner que tellement d’hommes, jeunes et vieux, se tiennent très loin des femmes?

    P.S.: Vous avez oublié les viols par les pets des hommes, les regards des hommes sur les femmes qui sont une forme d’agression sexuelle et l’air conditionné des bureaux qui est sexiste contre les femmes…

  4. L’étude qui a servi aux médias, au Ministère de la Santé et des services Sociaux (MSSS) et aux groupes féministes pour affirmer que le tiers des femmes au Québec sont victimes d’agressions sexuelles s’intitule « Statistiques 2004: Les agressions sexuelles au Québec ». Elle est disponible ici: http://bit.ly/2q3H5Gf

    On y constate trois choses:
    – Absolument rien dans l’étude ne fait allusion ni de près ni de loin au fait que les québécoises seraient victimes d’agression sexuelle dans une proportion de 30%.
    – En 2004, 5247 personnes ont été victimes d’une infraction de naturelle sexuelle au Québec, infractions dont il existe 4 catégories. 4317 des victimes sont des femmes. Ces 5247 agressions sexuelles constituent 7% des crimes contre la personne.
    – 4106 de ces agressions sexuelles, soit environ 80% sont des agressions de « premier niveau »; des insultes par exemple. 67% des agressions de ce type se trouvent chez les moins de 18 ans. Page 22, l’étude explicite : « …si les
    auteurs présumés des deux sexes agressent plus souvent des victimes de moins de 18 ans c’est, cette fois-ci, davantage le cas des femmes
    (88 % comparativement à 71 %). Bref, les auteurs présumés des deux sexes choisissent
    principalement des victimes féminines mineures.
    … Les agressions sexuelles simples sont un peu plus souvent commises par des jeunes filles. »
    En clair, la majorité des agressions sexuelles de premier niveau sont commises par des jeunes filles sur d’autres jeunes filles.

  5. j’ai vu dans le passé des articles du style, « pourquoi les hommes(québecois et autres) ne draguent plus? en partie, pour les raisons citer dans votre article. pas tout le monde mais d’aucuns,et aussi, pourquoi tout simplement s’approcher d’une fleur tellement fragile, qu’en soufflant dessus, on risque de la faire mourir? j’avise tous les hommes qui croisent mon chemin d’etre très méfiant de nos jours. meme si le tribunal trouve, comme le cas d’alice au pays merveilles juridique, « n’aucun crime n’a été commis, » la vie d’un homme peut etre ruinée sans que la fausse accusatrice soit tenue responsable de ses actions. on vit dans un monde ou la femme est pas mal déresponsabilsée. le méchant patriarchat, vous savez. le léger sarcsme dans votre article m’a fais sourire. ce qu’il faut que le monde comprenne aujourd’hui, c’est que vivre a un certain élément de danger, tout ne peut pas etre un « safe space. »

  6. 78 ans et je viens de voir défiler mon passé de victime. La pire, un fois dans l’ascendeur un bel Italien que je croisait souvent m’a collé au mur et fougueusement embrassé…oups j’ai vue des étoiles et les genoux m’ont pliés…ça compte tu? ahahah Merci pour ce texte.

  7. Votre texte est très intéressant. Mais malgré que vous n’avez pas sentie sur le moment que c’était une agression, il reste que certains des situations énumérées n’ont pas de raison d’exister. Séquestrer deux filles de 15 ans dans une voiture jusqu’à ce qu’elles n’aient plus de possibilité de transport, ce n’est pas acceptable. Les embrassades plutôt rough non sollicités, ce n’est pas acceptable. Je suis d’accord que ce ne sont peut être pas toutes ces expériences qui marquent à vie. Mais il me semble tout de même qu’une femme, ou un homme, à le droit de vivre sans se faire tripoter ou joué sans consentement.

    1. Réponse d’Olivia: Vous avez raison, Étienne. Ce n’est pas acceptable (à degré variable), ces situations. Celle à laquelle vous faites référence en particulier (séquestration en voiture). Je ne considère toutefois pas avoir été agressée sexuellement. Le mot « agression sexuelle » est trop grave pour qu’on le banalise en l’appliquant à tout et n’importe quoi. Les vraies victimes d’agression sexuelle ont toute ma sympathie.

  8. Je ne sais pas où vous avez trouvez la définition de ce qu’est une agression sexuelle mais je n’en reconnais que deux ou trois à un très faible degré. J’en suis très heureuse pour vous.

    Je conçois qu’une femme qui n’a pas été traumatisée par des viols ayant débutés dans son enfance est beaucoup moins choquée (dans son sens intrinsèque) si elle subit des attouchements non désirés.

    Ma réalité est tout autre. Il faut dire que, statistiquement, une femme qui a été violée durant son enfance a 70% plus de risque de se faire violer à nouveau à l’âge adulte.

    Les agresseurs, les vrais, les violeurs, ciblent les femmes ayant été victimes de viols durant l’enfance car nous sommes des proies plus faciles.

    Pourquoi ? Si aucune aide psychologique nous est apportée après un premier viol dans l’enfance, nous perdons notre capacité à nous défendre lors d’autres agressions car nous tombons en état de sidération.

    C’est la cumulation des viols, attouchements, harcèlement qui nous détruit petit à petit, c’est un peu comme le supplice chinois de la goûte d’eau sur le front.

    Heureusement, il existe maintenant des thérapies offertes par les CALACS qui sont très efficaces. Encore faut-il que la victime réussisse à passer par dessus sa honte et son sentiment d’avoir mérité toutes ces violences pour qu’elle puisse appeler et demander de l’aide. Car oui, les violeurs maîtrisent l’art de faire retomber la faute sur leurs victimes.

    J’ai réussit à le faire cinq ans après mon quatrième viol et j’ai été violée une cinquième fois durant la thérapie. Cinq viols par cinq hommes différents, ça fait beaucoup.

    Alors je suis vraiment heureuse pour toutes ces femmes qui n’ont pas eu ce vécu mais comprenez l’importance de mon combat, notre combat à toutes. Non pas pour accuser, seulement pour dénoncer un problème de société et faire en sorte de réserver un avenir meilleur pour les prochaines générations.

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