Il y a trop de « BYE » dans la vie de nos enfants

Olivia PelkaÇ’a commencé avec les CPE: on a demandé de plus en plus à l’état, par l’entremise de ses éducatrices, de faire ce que nous avions considéré jusqu’alors être la responsabilité du parent (donner le biberon, bercer, langer, donner de l’affection, introduire les aliments, aider à se retourner, ramper, marcher, apprendre à parler, à compter, soigner les bobos et les maladies…).

Ça s’est poursuivi avec l’école: puisque nous avions déjà accepté que nos enfants soient élevés par d’autres que nous durant leurs premières années de vie, petit à petit, nous avons étendu à l’école primaire cette idée que nos responsabilités pouvaient dorénavant être largement assumées par l’état. Alors en plus de l’enseignement des matières, on a demandé à l’école d’être responsable d’enseigner à nos enfants la politesse, à bien manger, à gérer les conflits, à pratiquer une activité physique, à s’aimer eux-mêmes, à partager, à écouter, à contrôler leurs humeurs… cette liste semble s’allonger sans arrêt.

Les parents, débordés, choisissent maintenant « leurs combats », et les combats qu’ils ont délaissés sont à la charge de l’état. Tout naturellement.

Lentement, la désensibilisation à nos propres enfants, à leurs besoins, à leurs signaux de détresse, à leurs difficultés et à nos responsabilités envers eux a fait son chemin. Et maintenant, quand quelque chose cloche, quand notre enfant développe une difficulté, s’il ne va pas bien, on pointe du doigt le système: c’est le système qui a failli à ses responsabilités, pas nous. On questionne les réseaux sociaux et l’univers virtuel, le manque d’investissements, le manque de volonté politique, la pénurie de spécialistes, les failles des programmes éducatifs… Tout, sauf les parents.

Puis quand ils arrivent à l’adolescence, on demande à des applications sophistiquées pour cellulaire de donner un soutien psychologique à nos jeunes en détresse. On a désappris à sentir leur détresse et à y réagir. On ne connaît plus autant nos enfants, on est déconnecté d’eux. On leur a dit « BYE » tellement souvent, tous les matins de leur vie. Et on a développé le réflexe de chercher les causes de leurs difficultés, autant que les solutions à celles-ci, partout ailleurs qu’en nous-mêmes, les parents.

« Si tu as besoin de parler, si tu te sens mal… envoie un texto. Il y a toujours quelqu’un pour toi. »

Il y a toujours quelqu’un… mais qui est ce « quelqu’un »? Un autre étranger. Où sont nos proches?

C’est là qu’on en est rendu. L’état se charge des enfants, et les parents s’en déchargent. On ne sait plus trop être là pour la chair de notre chair, on ne sait plus les entendre, les regarder. On s’est délesté collectivement, et on nous incite à n’en ressentir aucune culpabilité. Le système a besoin de nous sans culpabilité, car un travailleur qui se sent coupable est bien moins efficace et risque de tomber malade… alors la culpabilité, chassez-la, vite fait. On n’ose même plus parler de la famille quand on aborde le sujet de la prévention. C’est dire.

Oh oui, je sais, c’est certainement très utile tous ces programmes, ces applications, ces lignes de soutien. Oui, je comprends, il faut intervenir. Il faut aider, il faut soutenir. On ne peut pas se permettre de ne rien faire.

Mais moi, je ne peux pas m’empêcher de trouver tout ça triste, et froid.

3 commentaires sur “Il y a trop de « BYE » dans la vie de nos enfants”

  1. Excellent article. Je suis tout à fait d’accord. On remet l’éducation de nos enfants dans les mains d’étrangers. On ne peut pas se plaindre que l’état nous dicte comment élever nos enfants, c’est nous qui choisissons notre système.

  2. Cette réflexion sur la responsabilisation est valable, mais je ne comprends pas qu’elle s’appuie sur la douleur abyssale d’un homme qui a vécu le suicide de son fils.
    En prenant les effets pour des causes (technologies, jeux vidéo, etc.) ce texte oublie complètement les bases physiologiques de la dépression profonde qui peut affecter n’importe quel jeune, même les plus aimés par leurs parents.

    L’appel à la responsabilisation, louable, se dilue donc dans une charge moralisatrice où l’arrogance surclasse la capacité de deuil et la solidarité.

  3. Olivia P.:

    Bonjour monsieur Pruneau,

    En ce qui a trait à la maladie mentale que serait la dépression, et ses bases physiologiques, j’ai des réserves. Vous dites que la dépression profonde pourrait affecter n’importe quel jeune, même le plus aimé. Vous en semblez convaincu: pas moi. Qui plus est, l’amour en soi ne suffit pas à être un « bon parent » (je dis « bon parent » faute d’expression plus adéquate). Je crois que les enfants ont besoin de beaucoup plus que d’amour. La plupart des parents aiment sincèrement leurs enfants, je n’en doute pas.

    S’il advenait toutefois que cette base physiologique soit avérée, je crois tout de même que le fait d’avoir cette affliction dans un cadre familial affectueux et équilibré, en étant entouré, regardé, soutenu, écouté, par ses parents principalement, des parents disponibles et qui sont prêts à consentir certains sacrifices pour donner cela à leur enfant, tout cela jouerait un rôle important dans la prévention. Accompagner un enfant, de la naissance à l’âge adulte, c’est un travail immense, délicat, difficile: on le confie de nos jours trop facilement à d’autres, et à l’état.

    Pourquoi n’ose-t-on plus en parler que du bout des lèvres?

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